Ce week-end a lieu en région
parisienne la Coupe de France de cécifoot. Sport paralympique depuis
2004, il permet aux malvoyants et non-voyants de pratiquer le football
en toute sécurité. Contacts, dribbles, frappes et dépassement de soi
font partie du jeu. Immersion à l’entraînement d’une équipe à Paris.
«
Voy ! Voy ! Voy ! » Ce
cri, qui signifie « je viens » en espagnol, rythme tout le match qui
oppose Anis, Samba, Tijane à Titi, Mourad, et Augustin. Les
cécifootballeurs de l’
Association Valentin Haüy
(AVH) s’affrontent sur un terrain de football réduit, de 20 mètres par
10. Des deux côtés, une cage de handball. Toute l’aire de jeu est
délimitée par des boudins gonflables. Ils permettent aux non-voyants de
s’orienter en le touchant et leur évitent de sortir du terrain.
Le ballon roule et fait du bruit
Le « Voy », c’est la règle indispensable du cécifoot. Chaque joueur,
les yeux bandés, doit s’annoncer haut et fort en criant « Voy »
lorsqu’il défend sur un joueur ou qu’il se dirige vers le ballon, afin
d’éviter tout contact dangereux entre deux adversaires qui ne se
seraient pas signalés. Et le manager de l’équipe, Charly Simo, le
rappelle à ses troupes : «
Le "Voy", dites-le ! Si vous ne le faites pas, c’est penalty direct ! »
Les règles du cécifoot ressemblent à celles du football classique,
mais pour tenir compte du handicap, elles sont adaptées. Chaque équipe
compte cinq joueurs sur le terrain. Seul le gardien de but est valide.
Il n’y a pas de hors-jeu et les contacts sont autorisés, pourvu que les
joueurs s’annoncent avec le « Voy ».
De loin, le ballon de cécifoot ressemble à s’y méprendre à un ballon de
football classique. Même forme, poids quasi identique. Seule
particularité, des grelots placés à l’intérieur de la sphère permettent
aux aveugles de toujours savoir où se trouve la balle lorsqu’elle roule
et rebondit.
« Trois devant, tu es à 8 mètres, excentré ! »
Privés de leurs yeux pour s’orienter, les joueurs se servent de leurs
autres sens pour progresser sur le terrain et marquer le plus de buts
possible pendant les deux périodes de 25 minutes que dure le match. La
communication est essentielle. «
Oui, oui, oui ! », s’égosille
Samba. Excentré près du boudin à la gauche du terrain, l’ailier signale
sa position à son coéquipier, Tijane, qui garde pour l’instant le ballon
entre les pieds et tente de contourner le bloc défensif, à une dizaine
de mètres, dans l’axe du but.
Mais sur le terrain de cécifoot, les non-voyants ne sont pas les
seuls à parler. Dans les buts, les gardiens, valides, crient tout le
temps pour aider leurs joueurs. Charly Simo ne s’économise pas depuis
ses buts : «
Seul, seul ! A droite ! Bloque-le ! Ne le laisse pas passer ! »
Derrière la cage cette fois, d’autres consignes résonnent, celles de
Gabriel Faye, guide des joueurs de l’AVH depuis cinq ans. «
Ballon perdu ! Trois devant Tijane, tu es à 8 mètres, excentré ! Tire ! »
Juste derrière les filets, cet étudiant sénégalais met toute son
énergie pour que les non-voyants puissent visualiser leur situation et
sachent où se trouve le but.
Avant d’arriver en France, Gabriel n’avait jamais entendu parler du
cécifoot, mais il n’a pas hésité à rejoindre bénévolement l’AVH. «
C’est comme si j’étais sur le terrain et que je participais au jeu », s’enthousiasme-t-il. «
En fait, j’y participe, mais de façon indirecte. Quand ils marquent un but, je saute comme eux, je suis fou de joie ! ». Il rit : «
Parfois je fais le tour, je vais embrasser les joueurs, puis je retourne à ma place ! Il y a beaucoup d’adrénaline ! »
Le cécifoot, une aide dans la vie de tous les jours
Ce n’est pas parce que les joueurs de cécifoot sont malvoyants ou
non-voyants qu’ils en oublient la compétition. Sur le terrain l’ambiance
est bon enfant, on sourit, on s’amuse (cela reste un jeu), mais la soif
de vaincre est bien réelle. Plus d’une fois, Titi ou Mourad se
retrouvent les fesses par terre après un contact, et se relèvent bien
vite pour aller prendre le ballon à leur adversaire. Toujours dans la
bonne humeur.
Maillot du Real Madrid sur les épaules, le grand Augustin est l’un des
premiers à chambrer lorsqu’un adversaire rate un penalty. «
Olé ! Bouuuuuuuuuuuh ! », hurle-t-il, goguenard.
C’est sa cinquième saison à l’AVH. Malvoyant de naissance, il apprécie de pouvoir taper la balle avec les autres : «
Pendant
toute ma scolarité, j’étais en milieu classique, et donc je pouvais
difficilement faire des sports collectifs, mais plutôt de la natation,
de la course à pied », raconte-t-il. A l’âge de 20, 21 ans, Augustin réalise que «
ne pas pouvoir faire du sport en équipe, se dépenser avec un groupe », lui manque. Il se tourne alors vers cette discipline, «
accessible », selon lui.
Tijane, originaire de Nouakchott en Mauritanie, jouait au «
foot normal » là-bas, avec ses copains. Aujourd’hui, le cécifoot lui sert dans sa vie de tous les jours : «
Nous les non-voyants, ça nous aide beaucoup pour la représentation de l’espace », confie-t-il de sa voix chaude. «
Sur
le terrain, je sais si j’ai quelqu’un devant moi, je le ressens. Et
maintenant dans la rue, c’est pareil parfois, je n’ai plus besoin de ma
canne blanche, je sais que j’ai un mur devant moi par exemple ».
Bien sûr, le cécifoot s’adresse avant tout aux non-voyants et
malvoyants. Pour autant, il peut servir aux joueurs professionnels,
assure Charly Simo, le manager de l’AVH. Ancien pro, il est désormais
cadre technique à la fédération handisport. Il y a trois ans, il avait
organisé une sensibilisation au cécifoot dans le club des Girondins de
Bordeaux. Bénéfique, selon le manager, qui parle d’un «
super outil pour les centres de formation. Cela permet aux jeunes de se rendre compte de l’utilité de communiquer sur un terrain », assure-t-il, regrettant qu’on ait parfois l’impression «
lorsqu’on regarde certains de leurs matches, qu’ils sont sourds et malentendants tellement ils ne se parlent pas ».
Du cécifoot pendant l’Euro cet été
Depuis la médaille d’argent de l’Equipe de France aux Jeux
paralympiques de Londres en 2012, le cécifoot jouit d’une meilleure
exposition médiatique, au point qu’aujourd’hui, l’un des plus vieux
clubs français, Le Havre, a une équipe de non-voyants.
250 licenciés en France, c’est encore faible, mais ils pourraient
être plus nombreux après l’Euro 2016 qui se tiendra en juin prochain
dans tout le pays. Des démonstrations du foot à l’aveugle devraient être
proposées dans les villes hôtes.
En attendant, pour les six joueurs de l’AVH, c’est l’heure de la
douche après deux heures d’effort. Ils quittent le terrain comme ils
l’avaient rejoint. Bras tendus les uns derrière les autres, un guide
devant. Direction les vestiaires.